Ce court texte condense une vie de recherches du grand sinologue français. Il répond à l'éternelle question de savoir si la Chine représente un «ailleurs» inaccessible à notre compréhension d'Occidentaux (c'est ce que Foucault appelait une «hétéro-topie») ou s'il y a une manière de la comprendre qui la ramène à notre humanité commune.
Vandermeersch attaque le problème de trois côtés : d'abord par ses théories sur le langage, qui, en Chine, dériverait des pratiques divinatoires, entraînant une séparation complète entre le langage écrit et le langage parlé, à la différence du langage occidental, indo-européen, qui fonde la logique aristotélicienne. C'est ce que l'auteur a développé dans Les deux raisons de la pensée chinoise en 2013 («Bibliothèque des sciences humaines»).
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L'auteur passe ensuite à l'organisation sociale, son apport le plus personnel, fondée sur un ritualisme qui a été renversé par des formes chinoises de modes de production très différentes de celles qu'a connues l'Occident.
Il complète son approche par l'analyse de ce qui, en Chine, s'est substitué à la religion, l'absence d'une coupure entre le monde humain et la transcendance divine. Au contraire, la Chine a trouvé un accord complémentaire avec le cosmos, que le confucianisme a théorisé et confirmé.
Cet ouvrage vise à montrer que la nature de l'idéographie chinoise n'est pas une simple écriture, qui ne ferait que convertir la parole naturelle en signes écrits (un signe par mot), mais une refonte en profondeur, en une langue graphique, de la langue naturelle parlée.
L'idéographie chinoise a été inventée, au XIIIe siècle avant notre ère, pour noter non pas des discours, mais des divinations. Ce système de notation d'équations divinatoires s'est transformé au cours d'un demi-millénaire en une langue graphique restée relativement indépendante de la langue parlée. Ce n'est qu'au VIIIe siècle de notre ère qu'une écriture (idéographique) de la langue parlée a été extraite de cette langue graphique.
À l'appui de cette thèse, contestée par principe par les linguistes, qui rejettent la possibilité d'une langue graphique distincte de la parole, Léon Vandermeersch étudie l'invention chinoise des équations divinatoires, étude jamais faite jusqu'ici, la divination pratiquée au néolithique chinois ayant été abondamment constatée et décrite, mais sans être autrement étudiée. Cette étude met aussi en évidence la pénétration d'un rationalisme divinatoire au plus profond de la culture chinoise historique, marquée de « raison manticologique » au lieu de la raison théologique.
Reste ouverte la question de savoir si, après une dramatique occidentalisation à marche forcée à partir des guerres de l'opium, la Chine d'aujourd'hui pourrait redécouvrir la fécondité de sa propre culture, pas encore remise d'avoir subi, après le mépris des modernistes de l'entredeux- guerres, un complet écrasement sous le totalitarisme maoïste.
Léon Vandermeersch travaille depuis cinquante ans sur ce sujet, dont il est le spécialiste mondial, au point que L'Academia Sinica de Taiwan l'a invité à en traiter en 2008 et l'a mandaté pour justifier auprès de l'Unesco sa demande d'inscription au patrimoine de l'humanité de sa collection d'os et d'écailles de tortue divinatoires inscrits, et que l'Université de Pékin l'a invité à faire un séminaire de douze semaines au cours de l'hiver 2012.
Comme l'écrit le sinologue Léon Vandermeersch, le ciel est un thème qui fascine les cultures les plus différentes et continue de nous hanter, en dépit de la sécularisation ou du déclin des croyances.
Dans les traditions indo-européennes, c'est d'abord comme une voûte que le ciel atmosphérique est représenté alors que, dans le monde chinois, il s'agit d'un espace vide, ou plus exactement occupé seulement par un éther particulièrement subtil, identifié à l'énergie cosmique. Le ciel indo-européen est aussi le séjour des dieux. Dans le monde gréco-latin, il se confond avec l'Olympe, la plus célèbre des montagnes de la Grèce, dont le sommet se perd dans les nuages, et dont le nom est peut-être étymologiquement apparenté au mot ciel.
Deux regards croisés sur les espaces infinis...